Chasse aux immigrés en Russie : une violence et un nationalisme encouragés par le pouvoir

Le 10 octobre, Egor Scherbakov, un jeune russe résidant dans le quartier populaire de Birioulovo, au sud de Moscou, a reçu un coup de couteau mortel, alors qu'il rentrait avec sa copine, tard dans la soirée. À l’entrée de sa maison, un jeune homme au "faciès non slave", selon les mots de la jeune fille, a commencé à l’insulter. Puis le coup fatal est parti.

Les ultranationalistes n’ont pas tardé à accuser les "culs noirs" de ce crime. Ce terme est employé pour désigner les migrants ressortissants des républiques du Caucase et de l’Asie centrale. Selon les nationalistes, ce meurtre serait un signe de plus qu'il existe bel et bien une "criminalité ethnique".

La guerre a été déclarée avec les slogans "Nous sommes russes, nous sommes ici à la maison", "la Russie aux Russes". Après une manifestation pacifique le lendemain du meurtre, la manifestation du 13 octobre, qui a réuni 4.000 nationalistes locaux et invités, ainsi que des familles avec des enfants, s’est transformée en de véritables pogroms dans un centre commercial ainsi que dans un centre agroalimentaire.

Près de 1.200 personnes ont été interpellées, 23 ont été blessées. Les émeutes se sont poursuivies les 14 et 15 octobre. Le 15, le supposé coupable, un Azéri, a été arrêté à Kolomna, dans la région de Moscou, et emmené dans un hélicoptère, tel un criminel de guerre de haut niveau. Pendant ce temps là, un Ouzbek était retrouvé mort non loin de l’épicentre des évènements.

Clichés et idées fausses

Il existe une confusion au sein de la population russe entre les migrants venant des républiques du Caucase appartenant à la Fédération russe et les migrants originaires de républiques caucasiennes aujourd'hui indépendantes.

Certaines républiques du Caucase, dont la Tchétchénie et le Daghéstan, font en effet partie de la Fédération russe, leurs habitants sont donc des citoyens russes comme les autres.

À l'inverse, d’autres républiques du Caucase, comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, ou la Géorgie, ainsi que les républiques de l’Asie centrale (Ouzbékistan, Kirghistan...) sont des pays indépendants.

Or, beaucoup de Russes, et notamment les nationalistes, véhiculent l'idée que toute personne venant du Causase est forcement un étranger qui n'a rien à faire en Russie.

Lorsque les nationalistes comme Alexeï Navalny proposent d’introduire des visas d’entrée – qui n’existent pas entre les pays d’ex-URSS, sauf les pays baltes et quelques autres –, il faut donc savoir que cela n’aura aucune influence sur les migrations intérieures.

Pas de lien entre population étrangère et criminalité

La "criminalité ethnique" est une notion largement utilisée par les manifestants pour justifier les revendications nationalistes et les agressions. Cependant, il est intéressant de noter que la criminalité n’est pas forcement plus grande dans les quartiers où l'on note une très forte présence d'"immigrés".

Le cas parfait est Biriouliovo, où les migrants issus des républiques d’Asie centrale sont effectivement assez nombreux. Ce quartier héberge le centre agroalimentaire le plus grand à Moscou – celui qui a été attaqué par les manifestants – qui emploie principalement des migrants. Dans ce quartier populaire, la densité de la population est une des plus importantes à Moscou mais, pourtant, il ne figure pas parmi les quartiers les plus criminogènes de Moscou.

Les manifestants du 13 octobre ont tabassé toutes les personnes dont le faciès leur semblait étranger. Signe d'un racisme extrêmement primaire, le seul migrant qui l'a payé de sa vie était un Ouzbek et non un Caucasien. Tous les "étrangers", sans distinction ethnique ou religieuse, sont donc considérés comme coupables.

Enfin, ultime preuve que cette notion de "criminalité ethnique" n'est qu'une entourloupe, en fonction des sources (libéraux ou nationalistes), entre 17 et 80% de crimes commis à Moscou sont attribués à des étrangers...

Une violence légitimée par le pouvoir

La responsabilité du pouvoir est réelle. Tout d'abord, une grande partie des délits qui peuvent être commis par des étrangers est le fait d'un statut d’immigré des plus précaire.

Titres de séjour, autorisation de travail, pour obtenir ce type de documents officiels, ils n'ont d'autres choix que de se plier à la corruption ambiante qui règne dans le pays. Une corruption responsable de l'insécurité en Russie.

Si le maire de Moscou, Sergueï Sobyanine, a déclaré que plus de 600 enquêtes pénales ont été ouvertes cette année pour affaiblir les organisations qui profitent de la migration illégale, on ne peut pas être sûr qu’elles vont toutes se terminer par de vraies condamnations.

Le pouvoir est aussi responsable dans la mesure où des raids policiers, au mois d’août, se sont transformés en une véritable chasse aux immigrés. Cette campagne a été très largement médiatisée, le pouvoir a donc, d'une certaine manière, légitimé la violence d’aujourd’hui.

Dans le même temps, le Centre de lutte contre l’extrémisme, qui a été créé pour lutter contre les bandes ultranationalistes, se concentre de plus en plus sur les activistes d’opposition dont les exigences démocratiques ne devraient pourtant ne pas être considérées comme extrémistes. Pendant ce temps là, il y a toutes les raisons de croire que le pouvoir russe laisse faire les nationalistes.

Une société xénophobe

Il faut aussi savoir que les Russes sont assez xénophobes. Selon le son­dage du VCIOM, qui a été mené une enquête en 2009, 50% des sondés se déclaraient plutôt hostiles aux mi­grants.

L’étude effec­tuée par le centre Lévada en 2010 montre que de 26 à 38% des enquêtés préfèreraient qu’on interdise l’entrée de leur pays aux immi­grants tchétchènes, chinois, géor­giens, tadjiks et africains.

Alors que le problème est complexe, le pouvoir russe semble préférer une fois de plus la voie le plus simple : mener une campagne contre les migrants plutôt que trouver de vraies solutions. Or, il serait plus utile de commencer une véritable campagne contre les fonctionnaires corrompus, avec des procès médiatisés – même si cela reviendrait pour le pouvoir à se tirer une balle dans le pied.

Le pouvoir a ses raisons de ne pas reconnaître le problème et de le réduire au niveau local, comme l’a fait l’attaché de presse de Poutine. Mais, à agir de la sorte, il est à craindre que ce type de conflits resurgissent encore à l'avenir.

Original source: LE PLUS